La Presse: La vie après Tiananmen

11 November 2013

CLB Director Han Dongfang was interviewed in the following article. Copyright remains with the original publisher.

NICOLAS BÉRUBÉ

10 novembre 2013

Han Dongfang occupe un métier controversé en Chine : militants pour les droits des travailleurs. Arrêté durant le soulèvement de la place Tiananmen, en 1989, il a passé près de deux ans en prison pour avoir fondé le premier syndicat indépendant de Chine. Relâché après avoir contracté la tuberculose, il a été déporté à Hong Kong, où il a mis sur pied le China Labour Bulletin, une organisation qui aide depuis 20 ans les travailleurs chinois à faire valoir leurs droits et à demander de meilleures conditions de travail.

Sa biographie intitulée Mon combat pour les ouvriers chinois sera publiée en janvier 2014 aux Éditions Michel Lafon. La Presse l'a joint par téléphone.

Je suis surpris de voir, sur votre site internet, à quel point les grèves sont courantes en Chine. Médecins, chauffeurs de taxi, enseignants... De nouvelles grèves semblent éclater chaque jour.

C'est vrai, et c'est en augmentation. C'est lié aux changements économiques. Il y a 20 ans, 95 % des entreprises appartenaient à l'État. Tout le monde travaillait pour le gouvernement. Se plaindre était l'équivalent de critiquer le gouvernement, ce n'était pas toléré.

Aujourd'hui, 70 % de l'économie est entre les mains du secteur privé. Le gouvernement n'est plus sur les dents quand des travailleurs se plaignent de leurs conditions. Bien souvent, les travailleurs demandent au gouvernement d'intervenir pour rétablir l'équilibre.

Vous étiez là durant les manifestations de Tiananmen. Qu'est-ce que cela a représenté pour vous ?

Tiananmen a été un réveil pour les travailleurs. Ce n'était pas un mouvement coordonné. C'était injustice par-dessus injustice par-dessus injustice. Un jour, ça a débordé. Vous descendiez dans la rue, et tout d'un coup, vous réalisiez que des millions de personnes pensaient comme vous. Je courais dans la rue avec des milliers de personnes derrière moi, quand soudain, je me suis retourné et j'ai vu que les gens étaient partis. Dans ces moments-là, vous voyez la peur des gens. C'est une réalité. Moi aussi, j'avais peur. Ils m'ont jeté en prison. Tout ça m'a appris que nous devons demander un changement collectivement. Sinon, ils vont simplement arrêter les causeurs d'ennuis, et mettre un frein à tout ça.

Vous écrivez que l'émergence de l'internet a été bénéfique pour les droits des travailleurs chinois. C'est étonnant, car les Occidentaux voient souvent l'internet en Chine comme un outil censuré par Pékin.

Il y a de la censure, mais il y a aussi beaucoup de libertés. Avec l'émergence des réseaux sociaux comme Sina Weibo [NDLR : un site de microblogue semblable à Twitter], un débrayage d'enseignants dans un village éloigné de province peut être suivi en direct à Shanghai et à Pékin. Le flux d'information est crucial, car les gens ne vivent plus dans le noir, isolés. Ils réalisent que d'autres vivent les mêmes problèmes qu'eux. C'est stimulant de sentir qu'une masse critique est derrière nous.

Le gouvernement permet Weibo, car il leur permet d'avoir de l'information vraie sur ce qui se passe sur le terrain. Avec Weibo, le parti central peut prendre la vraie mesure d'un événement, sans passer par les autorités locales, qui peuvent exagérer le danger afin d'obtenir plus de ressources.

Durant votre carrière, avez-vous vu des changements tangibles dans la façon dont sont traités les travailleurs ?

Quand vous partez de rien, chaque changement est une victoire. Nous n'avons pas de justice, mais nous faisons des progrès. Par exemple, il arrive que des propriétaires d'usine soient trop endettés et disparaissent dans la nature, laissant les employés avec deux ou trois mois de salaire impayé. Avant, les employés qui portaient plainte étaient jetés en prison. Maintenant, le gouvernement va souvent reconnaître les droits des travailleurs, et payer deux tiers des salaires dus à même les coffres de l'État, tout en cherchant à arrêter le propriétaire fautif. Pour nous, ce changement est une victoire.

Aujourd'hui, vous recommandez aux Chinois de se battre devant les tribunaux plutôt que de descendre dans la rue...

Nous voulons nous battre à l'intérieur du système, avec les moyens qui existent. Combien de millions de personnes sont mortes au nom des idéologies, au nom du communisme ? Ça ne vaut pas le coup. Mon travail est d'améliorer le sort des gens, peu importe les moyens. Si cela fait bien paraître le gouvernement, eh bien! soit. Je suis intéressé par les résultats.

Quand nous avons commencé notre stratégie d'intenter des procès, en 2004, mes collègues n'étaient pas d'accord avec moi. Les gens riaient, et me disaient que j'étais fou. Tout le monde savait que les juges avaient trop peur de décevoir quelqu'un d'important pour oser donner raison à des travailleurs. Or, petit à petit, nous avons gagné des causes, et établi des précédents. Aujourd'hui, nous réalisons que le pouvoir judiciaire n'est pas la même chose que le pouvoir politique. C'est permis de se plaindre, ce n'est plus vu comme un affront au gouvernement.

Désormais, nous gagnons 70 % de nos causes. Nous avons eu des résultats concrets pour des violations des normes du travail. Les gens qui demandent de meilleures conditions sont vulnérables, mais c'est inévitable. Et si nous ne le faisons pas, personne ne le fera pour nous.

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